L’aide auditive en Suisse et l’histoire des assurances sociales

L’aide auditive en Suisse et les assurances sociales (AI et AVS)

En 1900, l’Office intercantonal de contrôle des médicaments (OICM) est fondé. Cet office devient responsable et accorde les autorisations de mise sur le marché de nouveaux médicaments, mais aussi de certains autres moyens thérapeutiques comme les aides auditives. En 1948 l’Assurance Vieillesse et Survivant (AVS) est introduite en Suisse. En 1953, la Société Suisse des médecins spécialistes en ORL (SSORL) crée une commission pour l’étude des appareils auditifs. Dès lors le sujet est régulièrement discuté. En 1956, « L’adaptation d’un appareil acoustique à un sourd ne peut plus se concevoir sans qu’il ne soit donné des conseils judicieux et procédé à un examen clinique et audiométrique du patient. Déjà lors du premier examen et du choix provisoire d’un appareil, la notion du diagnostic joue un rôle. L’audiométrie vocale est de toute nécessité pour contrôler le profit que retire un sourd du port d’un appareil acoustique. Une fois l’adaptation de l’appareil et l’examen de contrôle faits, chaque sourd devrait avoir la possibilité de suivre un traitement pédagogique. »

En 1959, onze ans après l’AVS, la loi fédérale sur l’Assurance Invalidité (AI) est promulguée. L’invalidité est définie comme « la diminution de la capacité de gain, présumé permanent ou de longue durée, qui résulte d’une atteinte à la santé physique ou mentale provenant d’une infirmité congénitale ou d’un accident. » L’octroi de « moyens auxiliaires » fait partie des prestations en vue « de la réadaptation à la vie professionnelle ». Ceux-ci doivent être « d’un modèle simple et adéquat. L’assuré prenait en charge les frais supplémentaires d’un autre modèle. » La loi d’application est introduite en 1960. « Ont droit à la remise d’un appareil acoustique les assurés, qui, vu leur surdité, en ont besoin pour exercer une activité lucrative ou pour accomplir leurs travaux habituels (par ex. travaux ménagers). Les appareils acoustiques sont remis en outre aux assurés qui doivent posséder un appareil personnel pour fréquenter l’école ou apprendre un métier. Ils peuvent aussi être remis aux enfants en âge préscolaire, quand ils sont nécessaires pour conserver et stimuler le résidu auditif de ces enfants, pour les éduquer ou pour leur permettre la fréquentation future de l’école. En revanche, les dispositions légales en vigueur ne permettent pas de remettre des appareils acoustiques servant seulement à faciliter le contact de l’assuré avec la société. » L’AI décide, dans chaque cas, si un appareil acoustique est remis à la charge de l’AI. Avant de rendre un prononcé définitif, l’AI ordonne les examens nécessaires, dont un rapport, dit expertise pré-appareillage, par un spécialiste ORL devant notamment se prononcer sur le genre et les effets du trouble de l’audition et la nécessité de porter un appareil acoustique. Si la remise d’un appareil acoustique entre en principe en considération, l’AI informe l’assuré et lui remet, à l’intention du fournisseur, respectivement du centre d’expertise, les données qui sont importantes pour la remise de l’appareil acoustique. « Pour autant que la commission AI ne décide pas dans le cas particulier que le centre compétent doit faire une expertise avant l’adaptation de l’appareil, l’assuré, peut, à son choix, aller directement chez un fournisseur d’appareils acoustiques reconnu ou demander d’abord que le centre d’expertise désigné par la commission AI procède à un examen. » L’adaptation de l’appareil acoustique doit être contrôlée par le centre d’expertise avant que cet appareil puisse être remis aux frais de l’AI. Cette procédure est introduite dans la nouvelle loi d’application de l’AI en 1964. « La remise d’appareils acoustiques doit être contrôlée par un médecin. L’Office Fédéral des Assurances Sociales établit la liste des experts qui sont à disposition de l’ AI pour de telles expertises. La commission AI compétente désigne, dans chaque cas, l’expert figurant sur cette liste. » Cette loi précise que « jusqu’à nouvel avis, la Commission AI doit ordonner l’expertise dans chaque cas, aussi bien avant qu’après l’adaptation de l’appareil acoustique […] Lors de l’expertise précédant l’adaptation d’un appareil acoustique, l’expert doit apprécier les circonstances qui déterminent le droit à une prestation (genre et importance du trouble auditif, possibilité d’utilisation d’un appareil en fonction du but à atteindre, type probable) et indiquer de quelles particularités le fournisseur doit tenir compte pour adapter et essayer l’appareil (exigence qualitative, gain minimum d’audition) […] Après l’adaptation, l’expert doit contrôler si l’appareil choisi est adéquat et ordonner les corrections encore nécessaires. Il doit dire également si d’autres mesures sont nécessaires (par exemple entraînement à l’audition, enseignement de lecture labiale) et indiquer quels organes entrent en considération pour les appliquer. »

En 1968, l’AI introduit, avec la SSORL, des recommandations pour l’élaboration des bilans avant l’adaptation d’une aide auditive. Il devient de plus en plus évident qu’une étroite collaboration entre les médecins ORL et les audioprothésistes est nécessaire: « Les ORL sont maintenant parfaitement au fait des progrès accomplis par la chirurgie fonctionnelle de l’oreille pour tout ce qui concerne les atteintes de l’oreille moyenne […] Ils connaissent aussi les déceptions du traitement des atteintes de l’oreille interne et leur impuissance à les guérir et même souvent à les stabiliser. Il reste les ressources de l’appareillage prothétique que l’on désigne plus communément aujourd’hui sous le vocable lénifiant d’aide auditive. Mais il nous a semblé qu’ils connaissaient mal les progrès technologiques récents accomplis dans ce domaine et l’appui qu’ils peuvent trouver auprès de cette profession récemment organisée d’audioprothésiste qui a transformé en auxiliaires médicaux les commerçants d’autrefois dont des exemples fâcheux leur avaient appris parfois à se méfier. La collaboration entre l’ORL et l’audioprothésiste permet d’exploiter au mieux dans l’intérêt des sourds les découvertes des fabricants des appareils de prothèse. » Les recommandations pour les médecins experts ORL vont évoluer au fil des avancées technologiques et le principe d’un bilan médical avant et après l’adaptation d’une aide auditive est ancré dans les recommandations.

En 1986, à la demande de l’Office Fédéral des Affaires Sociales (OFAS), la SSORL présente pour la première fois des recommandations plus précises et chiffrées concernant les expertises pour l’octroi de prothèses auditives par l’AI. « Pour l’indication audiologique, c’est l’acuité auditive par voie aérienne de la meilleure oreille qui est déterminante. Il n’y a pas de limite précise applicable. La libre appréciation du médecin expert n’est donc limitée que par les exigences de l’AI, c’est-à-dire que le patient doit absolument avoir besoin d’une prothèse acoustique dans l’exercice de sa profession ou lors d’autres activités à charge (par exemple la conduite du ménage), pour la scolarité ou la formation professionnelle […] En principe les règles pour les patients en âge AVS sont les mêmes que pour les patients jeunes. L’AVS cependant n’accorde une contribution au coût de l’appareillage que lorsqu’une surdité « grave » est présente, c’est-à-dire lorsque l’atteinte à l’intégrité selon la CNA atteint 25% […] Des exceptions à cette règle de base doivent être argumentées. La participation aux frais est indépendante du type d’appareillage (monaural ou binaural) et de son coût global. » Une année plus tard, l’OFAS modifie les conditions d’octroi d’une aide auditive en redéfinissant « la surdité grave » de manière plus restrictive: « dans le sens de la loi des ordonnances, une surdité est reconnue « grave » lorsque la capacité de communication avec l’entourage est entravée. Cette limite est atteinte – lorsque la perte auditive de l’oreille la plus valide atteint 50 dB ou plus dans 4 sur les 5 fréquences suivantes: 500, 1000, 2000, 4000, et 8000 Hz ou – lorsque la perte auditive atteint 50% ou plus du côté de l’oreille la plus valide. Si la perte auditive de l’oreille la plus atteinte est de 80% ou plus, il suffit que la perte auditive atteigne 40% dans l’oreille la plus valide. En cas de surdité (cophose) unilatérale, il suffit que l’oreille valide subisse une perte de 35%. » Les assurés AI ont « droit à une prothèse acoustique en cas de surdité « grave » s’ils peuvent obtenir ainsi une amélioration sensible de leur capacité auditive (en particulier de la compréhension verbale). Lors d’une surdité « grave », le droit à l’appareillage sera tout de même acquis lorsque la scolarité, la formation ou l’activité professionnelle sont susceptibles d’être facilitées par un appareillage en tenant compte des besoins résultant du déplacement entre le domicile et le lieu de travail. Les prestations de l’AI consistent en une prise en charge des frais d’une adaptation prothétique simple et efficace. L’AVS offre une subvention pour une prothèse acoustique pour autant que la surdité soit reconnue comme « grave » et que la prothèse améliore la capacité de communication avec l’entourage de façon notable. Si l’assuré était déjà au bénéfice d’une prestation AI, celle-ci est maintenue en sa totalité en âge AVS. »

En 2001, l’OFAS approuve de nouvelles recommandations aux médecins experts AI pour la prescription et le contrôle des aides auditives. « Au vu de l’explosion des coûts de l’appareillage acoustique, une révision complète des recommandations s’est imposée et une classification des prothèses auditives en trois catégories [adaptation simple – complexe – très complexe], auxquelles se rapporte une prestation spécifique de l’assurance sociale, a été introduite en 1999. Pour cela, un nouveau modèle d’expertise a été développé, basé sur une évaluation médicoaudiologique du handicap auditif et un système de score par points […] Elles sont le résultat d’un compromis entre les praticiens ORL et les représentants des cliniques universitaires, l’Association des Audioprothésistes et l’Office fédéral des assurances sociales. Elles aspirent à permettre une activité d’expert en audioprothèses moderne, efficace et économique. Le but de ces recommandations est de faciliter le travail du médecin expert; elles n’ont pas la prétention d’inventorier tous les variantes et cas particuliers possibles. Il est bien clair que le médecin expert continue de jouir d’une certaine liberté, tout en étant conscient qu’il établit une expertise sous mandat de l’OFAS. » Lors de l’expertise pré-appareillage, le niveau d’indication de la catégorie est « déterminé par la somme des points calculés sur la base des critères suivant »: critères audiométriques (audiométrie tonale, audiométrie vocale et épreuves supraliminaires) – handicap socioémotionnel – et critères professionnels seulement pour les personnes salariées. Ces deux derniers groupes de critères sont basés sur un questionnaire évalué par une échelle de points en fonction de l’importance de la plainte. Le classement dans une des trois catégories dépend de nombre final de points obtenus. Ces critères sont pondérés par l’activité professionnelle de l’assuré, donnant lieu à trois groupes particuliers de calcul: âge AI salarié – âge AI non salarié – et âge AVS. Trois facteurs aggravants supplémentaires peuvent faire changer de catégorie: handicap physique ou mental rendant les manipulations de l’appareil difficile voir impossible – handicap visuel majeur – et formation scolaire en cours. L’expertise finale (après-appareillage) est basée sur un questionnaire évaluant 20 critères répartis en critères audiométriques – critères subjectifs – critères techniques – et appréciation du service de l’audioprothésiste. Un certain nombre de points sont nécessaires pour accepter définitivement l’adaptation prothétique.

En 2011, et à nouveau suite à l’augmentation non maîtrisée des coûts, une nouvelle ordonnance concernant la remise de moyens auxiliaires par l’AI (OMAI) est introduite. Elle est basée sur un système forfaitaire de remboursement et l’expertise après-appareillage est supprimée, contre l’avis de la SSORL. En substance, « lorsqu’un tel appareil [appareil auditif en cas de déficience de l’ouïe] améliore notablement la capacité auditive et les possibilités de communication de l’assuré avec son entourage. L’assuré a droit à un remboursement forfaitaire, qui peut être demandé tous les six ans au maximum, à moins qu’une modification notable de l’acuité auditive exige le remplacement des appareils avant l’expiration de ce délai. Les appareils auditifs doivent être remis par une personne qualifiée. Le forfait est de 840 francs pour un appareillage monaural et de 1’650 francs pour un appareillage binaural, hors frais de réparation et de piles […] L’Office fédéral des assurances sociales définit les cas [de rigueur, c’est-à-dire les cas où l’assuré n’est pas satisfait de l’adaptation de l’appareillage] dans lesquels des forfaits supérieurs aux montants prévus peuvent être versés pour un appareillage monaural ou binaural. » Les assurances éditent aussi un nouveau mémento pour la remise d’appareils auditifs par l’AI . « La contribution est versée directement à la personne assurée sous forme de forfait calculé de manière à couvrir le prix d’un appareil simple et adéquat […] L’appareil auditif peut être acquis auprès de tout fournisseur qualifié (audioprothésiste, pharmacien, droguiste, etc.) […] Le type d’appareil auditif peut être acquis librement, en Suisse ou à l’étranger, pour autant qu’il figure sur la liste établie par l’Office Fédéral des Assurances Sociales […] Pour pouvoir bénéficier de la contribution forfaitaire, la personne assurée remplira le formulaire de facturation remis par l’office AI. Elle le retournera à l’office accompagné d’une copie de la facture du fournisseur, qui doit inclure tous les éléments mentionnés au verso du formulaire de facturation. » Un mémento identique est publié pour les personnes en âge AVS . Le montant forfaitaire est de 630 francs (le 75% du forfait AI) et ne concerne qu’un seul appareil. Cette nouvelle ordonnance implique des modifications des directives à l’intention des médecins experts ORL pour l’examen de la prise en charge d’appareils auditifs par les assurances sociales, valables aussi dès 2011 . « L’AI peut contribuer pour un montant forfaitaire à la remise d’appareils auditifs lorsque la perte auditive binaurale totale est d’au moins 20%. L’AVS peut contribuer par un montant forfaitaire à la remise d’appareils auditifs lorsque la perte auditive binaurale totale est d’au moins 35%. La perte auditive binaurale totale est calculée à partir des audiogrammes tonal et vocal. » Le renouvellement anticipé d’un appareil auditif peut être demandé à l’assurance sociale lorsque la perte auditive totale a augmenté de plus de 20%. « Le droit à la prise en charge dans les cas posant certains problèmes d’adaptation, dits de rigueur, est évalué au moyen d’une expertise audiologique effectuée dans une clinique comportant un département d’audiologie. » Dans ce cas, l’assuré doit remplir un « journal » rendant compte de l’utilisation de l’appareil pendant vingt jours de travail. Ce journal est ensuite envoyé à l’office AI accompagné d’une motivation écrite de la demande et d’un rapport du fournisseur d’appareils auditifs concernant les problèmes rencontrés lors de l’adaptation. Le renouvellement de l’aide auditive après le délai légal peut se faire sans nouvel examen médical. En 2015, un assouplissement des recommandations est introduit, notamment pour les cas de pente de ski audiométrique, pour les cas d’atteinte bilatérale fortement asymétrique et pour les surdités supérieures à 90%. Le renouvellement anticipé peut se faire dès que la perte de l’audition s’est péjorée de plus de 15%.

Le développement et l’adaptation des aides auditives en Suisse sont fortement marqués par les Assurances Sociales. Au cours du temps, l’objectif principal est passé de l’amélioration de la technologie à disposition à l’économie de santé et aux restrictions qui en découlent.